đź–Š Une soupe populaire Ă l'heure du Covid 19 / Oct. 2021
Dans ce lieu de passage, ils sont de plus en plus nombreux à venir chercher un repas chaud. La crise du covid a bouleversé un peu plus leurs vies et la soupe populaire leur est un refuge plus indispensable que jamais.
Dans le 6ème arrondissement de Paris, le long du marché Saint Germain, serpente une longue queue. C’est au 4, rue Clément, devant une façade rouge, qu’elle se termine. Des hommes surtout, silencieux, la composent. Dès 8h le matin, derrière une table à l’entrée, se tient Noria. Elle échange avec eux quelques mots et leur tend un jeton jaune qui leur permettra plus tard de repartir avec un repas chaud.
Michel est l’un des premiers. Mis à part son large sac à dos, rien ne le distingue des jeunes quarantenaires de ce quartier aisé. « Je suis SDF. Je viens ici depuis 2 semaines. En ce moment c’est difficile, ça n’allait pas avant mais avec le Covid ça a été le coup de grâce ». Comme le feront deux autres hommes un peu plus tard, il extirpe de son sac le Guide Solidaire, distribué par la Mairie, qui lui a permis de connaître cette adresse. « Il vaut mieux être à Paris, qui est une ville riche, qui a un meilleur tissu social. Il y a plus d’associations. Dans certaines villes de province c’est très difficile, il n’y a pas d’associations. À Marseille aussi c’est très dur, c’est saturé ».
Plus loin, Roger, un homme âgé de 70 ans répète ne venir ici que « pour quelques semaines encore », en attendant son logement social. « Ici c’est propre, depuis la crise sanitaire, c’est plus dur. Il y a des endroits qui ont fermé, qui ne reçoivent plus personne à l’intérieur à cause du Covid » précise-t-il. Ahmed, qui porte des vêtements déchirés s’approche, il est agité et propose d’aller discuter au Pont Neuf. Il ne répond à aucune question, ne fait qu’en poser, confusément.
Tous “les amis”, comme les appellent Noria, disent venir ici “ parce que c’est le seul endroit ou ils auront un repas chaud. Ailleurs, comme au Restau du Coeur par exemple, c’est froid. Et la soupe populaire à Saint Eustache, aux Halles, n’est ouverte que 3 mois l’hiver”.
Noria (qui cuisine chaque jour le repas), à présent à l’intérieur, sert sur le comptoir les portions. Avec l’aide de trois bénévoles, ces repas et des masques sont ensuite distribués aux personnes qui patientent dehors. Chacun doit utiliser le gel hydro-alcoolique posé sur la table.
Noria raconte : « On a plus de monde qu’avant. On est passé de 120 repas assis, à 180 distribués. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui viennent. Avant on avait des gens qui sont dans la rue. Maintenant on a des étudiants, de jeunes chômeurs, des retraités. » Eléonore, une étudiante bénévole ajoute que ces derniers « souhaitent quelquefois venir incognito, ce que leur permet le masque».
Un homme rentre, les bras chargés de cageots. Nadia le présente comme un donateur, elle ne connait pas son nom, il ne souhaite pas le donner. « Ce monsieur vient depuis le mois de septembre. Il m’appelle quelquefois et m’apporte ce dont j’ai besoin ». L’association ne vit que par des dons, matériels ou financiers. Mark& Spencer de l’autre côté de la rue fournit des invendus, la boulangerie Mulot livre tous les jours du pain et des gâteaux. Des dons en argent, modestes ou plus importants, achèvent de permettre à ce lieu de fonctionner.
Plus tard, Thomas, un jeune homme d’une trentaine d’années ferme les yeux. Le visage tourné vers le soleil, assis par terre, le sac de son déjeuner vide à côté de lui. Il donne, comme tous les autres, comme condition préalable à notre échange de ne pas avoir à répondre à des questions personnelles. Comme les autres il est venu chercher la chaleur d’un repas et un moment de calme éphémère. La crise du Covid a-t-elle modifié des choses à ses yeux ? « On se sent de plus en plus surveillés, c’est oppressant. Hier à République, j’étais simplement assis, avec d’autres, on ne faisait rien. Des policiers nous ont demandé brutalement de partir, je ne sais pas pourquoi. Avec le Covid en plus, il y a beaucoup de nouvelles règles, c’est plus strict. Je me sens oppressé, surveillé. Tout est plus difficile».
Constance Lacorne / Mai 2021