🖊 Au Bout du Champ . La carotte et le bâton
Dans un supermarché je vis souvent une expérience proche du dédoublement de la personnalité , je ne sais quoi saisir sur les rayons et j’hésite entre plusieurs rôles : enquêtrice, complotiste, adepte de la mal bouffe, agréée en bio chimie, amie lointaine d’un permaculteur fantasmé, complice de multinationales criminelles… Je pense à l’imminente extinction de notre espèce, un oeil sur l’appli Yuka, l’autre rivé sur un boite de Kinder.
Pour mieux comprendre ces sujets, et mieux m'orienter dans les rayons, j’ai rencontré Joseph Petit, l'un des co-fondateurs d’Au bout du champ. Créé en 2013 Au bout du champ séduit les citadins. Dans leurs points de vente on trouve des fruits et des légumes de saison, fraîchement cueillis, et exclusivement de la région.
Chaque matin, une équipe va chercher la récolte du jour chez des producteurs puis la dépose dans les différents magasins Au Bout du Champ en Île de France. Les exploitations se situent dans un périmètre de 100 km autour des lieux de vente. Ce circuit court permet d’avoir des fruits et légumes qui ont du goût car ils sont cueillis à maturité et n’ont pas été réfrigérés.
Dans quel contexte Joseph Petit a-t-il fondé Au Bout du Champ et quelle est sa démarche?
À partir des années 60 la PAC (politique de gestion de l’agriculture commune à l’Union européenne) organise l’agriculture en France. Leur but: stabiliser les prix et accroître la productivité dans un contexte de concurrence accrue de la France avec des pays qui n’ont pas les mêmes normes et les mêmes contraintes de production. Pour cela, la Pac verse des aides et ce sont ces aides qui aujourd’hui permettent aux agriculteurs de vivre.
Parallèlement aux actions menées par la PAC, dans un contexte concurrentiel fort, la grande distribution incite elle aussi les exploitants à augmenter les quantités au risque de perdre en qualité. Le paysage agricole change. La monoculture s’étend, sur de très grandes surfaces. Ce changement implique pour les agriculteurs l’achat d’outils très coûteux. Ce qui implique souvent de faire des emprunts et entraîne une réduction de la main d’oeuvre. La diversité disparaît au profit de la culture des céréales à perte de vue. Beaucoup de maraîchers qui n’empruntèrent pas ce chemin dans les années 60-70 se tournent vers les marchés ou disparaissent.
Au bout du Champ collabore avec les exploitants qui sont restés des maraîchers et pratiquent une agriculture de “bon sens”, en “bon père de famille” selon les termes employés par Joseph Petit. Non pas une agriculture «raisonnée», terme qui a souvent servi à justifier une agriculture intensive.
Qu’est ce qui fait une agriculture de bon sens, terme qui peut paraître assez subjectif ? La diversité, la rotation des cultures, l’utilisation la plus réduite possible de produits chimiques, la taille de la ferme, le nombre d’employés, la surface des terres. Car une exploitation respectueuse de ces critères est impossible sur une très grande surface. La sélection des graines, la terre, la fraîcheur et surtout l'expérience du maraîcher permettent d’avoir un bon fruit ou légume. Seulement quelques uns des producteurs avec lesquels ABDC collaborent sont bio. Au bout du Champ a le projet avant tout de proposer des produits qui ont du goût. Or le bio n'est pas un gage de goût mais celui d'un produit qui n'a pas reçu de traitement de synthèse . Par ailleurs certaines pratiques bio peuvent être nocives pour la nature. Le cuivre, par exemple utilisé comme insecticide et pesticide naturel, et en grande quantité, n’est pas inoffensif, ni pour l'homme ni pour la nature. Il s’élimine très mal et pollue les nappes phréatiques. Joseph Petit lorsqu’on lui parle de la grande distribution tant décriée, évoque lui le mérite qu’elle a de proposer des produits à des prix raisonnables à ceux qui n’ont pas un budget suffisant pour des produits bio ou locaux de qualité. Consommer avec vertu, sans avoir le sentiment de s’empoisonner un peu ou d’affamer certains, est encore un luxe.
Depuis quelques années des agriculteurs à la tête de grandes exploitations, conscients que, face à la concurrence et sans les subventions, leur activité n’est plus rentable, commencent à revenir progressivement à une activité de maraîcher sur une parcelle réduite de leur surface.
Au bout du champ offre sûrement une proposition équilibrée à une question aujourd’hui très complexe qui touche à la fois à la nature de ce que l’on mange et du circuit économique et écologique auquel on contribue par nos dépenses.
Constance Lacorne